L’ivresse de la technologie reine

Voici un exemple frappant de l’idolâtrie à l’égard du progrès technique dont nous avons été témoins ces trois dernières années, mais cette fois poussée à son paroxysme, jusqu’à l’absurde, de quoi discréditer complètement la (trop) prestigieuse revue scientifique Nature qui, décidément, n’est plus ce qu’elle a été. Elle succombe en effet ici, dans sa rubrique ‘Portfolio’ à la séduction du sponsoring le plus mercantile en publiant un article commandité par une entreprise sud-coréenne de biotechnologie. Ça doit certainement rapporter gros.

Même si le journal prend la précaution élémentaire de signaler, mais très discrètement, qu’il s’agit d’un « Advertisement », non seulement la pratique induit une dangereuse confusion entre science et commerce, mais elle est aggravée par le caractère aberrant du message, qui est évident dès la lecture du titre : « Groundbreaking PCR technology to halt the spread of disease ».

Analysons. « La possibilité de vérifier la présence de nombreux agents pathogènes de manière simple et simultanée rendra les tests PCR plus performants que jamais »

Ce n’est évidemment pas une nouveauté. Elle date du moment où la PCR a été mise au point et a montré sa formidable utilité (1) et plus encore quand le séquençage des génomes des agents infectieux est devenu une technique usuelle.

D’autre part, l’idée de pouvoir « établir des diagnostics moléculaires pour un monde libéré de toutes les maladies » est extrêmement trompeuse et mérite qu’on lui adjoigne bien des bémols…

Nous émergeons de trois années durant lesquelles la technologie d’amplification génomique a été sanctifiée, en quelque sorte. Certes, dans l’absolu, elle le mérite et de nombreuses applications en témoignent, comme, par exemple, la détection de quantités extrêmement faibles du virus VIH responsable du SIDA dans les dons de sang ou l’identification de traces infimes d’ADN en médecine légale. Mais l’enthousiasme provoqué par la sensibilité extrême de cette technique a fait oublier qu’à partir d’un certain degré de sensibilité, la détection de quantités infinitésimales dissocie la performance du procédé et son intérêt véritable. Pour faire court, si la détection d’un ADN (ou, dans le cas des coronavirus, d’un ARN) est très utile pour le diagnostic et pour l’épidémiologie, en dessous d’un certain seuil, la détection est dépourvue de toute utilité pratique. Elle indique que le sujet a rencontré le virus, sans indication temporelle. Pour savoir si la personne est en phase de multiplication virale et à risque de contaminer autrui, les tests antigéniques sont bien plus informatifs (voir le blog de CovidRationnel du 4 mars 2021, mesure nº10).

La détection par PCR de coronavirus ou d’influenza virus amène, par un raisonnement qui peut sembler logique, à isoler une personne trouvée positive et à la mettre en quarantaine, une mesure que j’ai critiquée depuis longtemps. Cette mesure n’a de sens que si la sensibilité de la détection ne dépasse pas un seuil. Par ailleurs, si le confinement et les diverses mesures de distanciation sociale peuvent ralentir la progression d’un virus aéroporté, elles ne peuvent absolument pas l’éradiquer, répétons-le encore et encore, contrairement à l’affirmation du titre de l’article qui annonce que la technique permettra de libérer le monde de toutes les maladies ! Lire une telle ineptie donne envie de boycotter le journal.

Le slogan : “molecular diagnostics for a world free from all disease” est donc d’emblée une tromperie et, qui plus est, une tromperie grossière et ridicule.


(1) Petite anecdote - Il ne faut pas me convaincre de l’utilité de la technique PCR : c’est dans mon laboratoire qu’en 1986, nous avons, avec Dolorès Vaira, mis au point les tout premiers test PCR (on ne leur avait pas encore donné ce nom, on disait « amplification enzymatique d’ADN ») en Belgique, pour la détection du VIH dans les dons de sang, suite à une rencontre avec des chercheurs américains qui présentaient leurs travaux lors d’un meeting sur les tests radio-immunologiques à Florence…

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