Mais quel est donc le statut du Plan S ?

Modifié le 7/1/19 à 15h.

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Le Plan S n’est pas une loi. Et encore moins une directive européenne en attente de transposition en droit national ou fédéral.

Le Plan S est un engagement pris par et parmi des bailleurs de fonds réunis au sein d’un groupe appelé cOAlition S, afin d’harmoniser les critères qu’ils veulent utiliser pour évaluer les propositions de recherche à partir de janvier 2020. Ils s’engagent à respecter les règles énoncées dans le Plan S lorsqu’ils évalueront la recherche qu’ils auront financée.

Pour cette raison, les discussions sur le Plan S devraient éviter toute confusion avec une contrainte légale.

Chaque organisme chargé d’évaluer des propositions de recherche est libre d’imposer ses propres règles d’évaluation pour autant qu’il les énonce clairement au préalable. Chaque organisation de financement est libre d’exiger de ses bénéficiaires qu’ils rendent publics les résultats de la recherche qu’elle finance, et de décider de la manière dont les auteurs publieront et dans quel délai. Ainsi, dans l’esprit du Plan S — et parmi d’autres éléments qu’ils souhaiteront peut-être prendre en considération —, les membres de la cOAlition S ont pris la décision que les résultats des recherches qu’ils financent doivent être accessibles au public dès que les auteurs décident de les publier et ne peuvent être retenus derrière une barrière de péage. Le libellé exact est le suivant : « accès ouvert immédiat à toutes les publications scientifiques issues de la recherche financée par les membres de la coalition à partir de 2020« .

Tout bailleur de fonds est également libre de déterminer les sanctions qu’il appliquera à ceux qui enfreignent ses règles. Ils peut donc décider que les transgresseurs ne seront pas éligibles pour une demande ultérieure.

Il s’agit donc bien d’un accord exclusif entre le bailleur de fonds et le bénéficiaire de ces fonds. Comme il ne s’agit pas d’obéir à une loi qui s’appliquerait dans un pays en particulier, personne n’est tenu d’en respecter les règles pour autant qu’il soit possible d’obtenir les fonds ailleurs.

Cependant, il subsiste quelques inconvénients qui expliquent l’effervescence que le Plan S a suscitée dans le milieu de la recherche.

Tout d’abord, il n’existe pas beaucoup d’organismes de financement public accessibles pour les chercheurs. Dans certains pays, il n’y en a même parfois qu’un seul, ou très peu. Et il existe encore moins — ou parfois pas du tout — de bailleurs de fonds privés sans but lucratif. En Europe, les autres ressources possibles proviennent essentiellement de la Communauté Européenne. Les chercheurs peuvent donc être contraints à dépendre exclusivement de membres de cOAlition S pour leur financement. Dans ces circonstances, ils seront obligés de se plier aux exigences du Plan S au moment de choisir leur éditeur. Cela limite effectivement leur choix, et en inquiète plus d’un.

Ensuite, quel que soit le schéma de publication, les auteurs sont tenus de placer leur texte sous une licence CC-BY (avec un peu de chance sans les suffixes ND ou NC). Cela déplaira inévitablement, c’est certain, à beaucoup de chercheurs qui y verront une contrainte administrative supplémentaire ou même — à tort, à mon avis, dans la plupart des cas — une privation de leur liberté académique.

En fait, tout dépend de l’étendue de l’offre de publication qui sera conforme au Plan S à dater du 1er janvier 2020. Si la situation actuelle demeure inchangée, le plan encouragera la publication dans des revues qui sont déjà conformes aujourd’hui. Elle conduira à un bras de fer entre la cOAlition S et les éditeurs « traditionnels ». Ceux-ci adapteront-ils leur politique en temps voulu ? Sinon, ils pourraient progressivement disparaître du paysage. Et c’est précisément l’objectif du Plan S : se débarrasser de tous les désavantages dénoncés par le mouvement de l’Open Access et qui sont contraires à ses principes.

Cependant, une nouvelle difficulté surgit. Parmi les éditeurs qui sont prêts (c’est-à-dire ceux qui proposent une distribution immédiate et une lecture gratuite sur le Web), deux catégories existent :

A. les plateformes mises à la disposition des auteurs gratuitement ou presque ;

B. les plateformes de publication payantes. Parmi celles-ci, on peut distinguer plusieurs options très différentes :

B(1) La publication est faite dans un journal d’abonnement « traditionnel » et déposée immédiatement après acceptation dans un dépôt en libre accès (OA vert). Le coût est à charge des abonnés (généralement des universités, parfois des particuliers), donc du côté du lecteur et non de l’auteur. Il existe toutefois un coût très léger pour les universités qui doivent gérer le dépôt.

B(2) Les éditions « hybrides », généralement proposées aujourd’hui par les mêmes éditeurs « traditionnels », qui continuent à vendre une version papier par abonnement mais font également payer la publication en ligne immédiate. Le coût est à la fois du côté de l’auteur et du côté du lecteur (« double dipping »).B

B(3a) Les plates-formes innovantes utilisant de nouvelles formes de révision (identifiées, ouvertes, etc.). Le coût est à charge de l’auteur.

B(3b) Les plateformes des éditeurs traditionnels que lesquelles sont diffusés des articles sans publication sur papier en parallèle (donc non hybrides) mais reproduisant le schéma traditionnel de l’édition scientifique ancestrale, en particulier la révision par les pairs. Le cout est à charge de l’auteur.

B(4) Les éditions  » prédatrices  » qui mettent en ligne des manuscrits pour de l’argent sans réelle garantie de qualité. Le coût est à charge de l’auteur, le lecteur lit gratuitement mais seulement lorsque l’arnaque ne va pas jusqu’à toucher l’argent sans rien publier…

B(1) : Au début, les membres de la cOAlition S ne considéraient pas l’OA « vert » comme conforme, mais des ajustements sont apparus en cours de route depuis septembre 2018 et il semble que « sous certaines conditions spécifiées, le dépôt d’articles scientifiques dans des dépôts en libre accès » serait acceptable. Il serait utile de savoir quelles sont ces « conditions spécifiées ». Ce qui est sûr, c’est que les embargos sont interdits. Bien que nous les ayons dénoncés dès le départ, ils ont constitué un compromis qui a permis aux éditeurs les plus exigeants de tolérer l’OA « vert » jusqu’à présent. À court ou moyen terme, l’interdiction des embargos pourrait tuer l’OA « vert ». Une difficulté supplémentaire se pose par ailleurs avec le Plan S et l’OA vert : les exigences techniques imposées aux équipes de gestion des dépôts seront difficiles à satisfaire dans un délai aussi court. Épuisant mais pas impossible.

B(2) : les membres de la cOAlition S ont d’abord clairement exclu le modèle hybride. Cependant, dans le document de mise en œuvre du 26 novembre, ils ont annoncé qu’ils toléreraient « dans une période de transition, la publication du Libre Accès dans des journaux d’abonnement (‘hybrid OA’) dans le cadre d’accords de transition comme moyen de se conformer au Plan S« . L’accord de transition doit être signé avec la cOAlition S et doit « fournir un engagement clair et précis dans le temps pour une transition complète vers le libre accès« . Néanmoins, cela brouille quelque peu le projet en laissant pas mal de détails en suspens…

B(3a & 3b) : cOAlition S privilégie clairement d’emblée ces modèles de plateformes ouvertes, tout en soutenant également le modèle A. Il faut retenir que B(3b) risque de perpétuer le culte du facteur d’impact et le transfert illégitime du prestige de l’éditeur à l’auteur.

B(4) : On peut espérer que les chercheurs seront assez sages pour éviter à tout prix de devenir des proies. Toutefois, les pressions exercées pour publier directement en OA peuvent attirer beaucoup d’entre eux vers une publication extrêmement rapide mais peu sûre. Les éditeurs prédateurs seront interdits et c’est une excellente chose, si ce n’est qu’à côté des prédateurs évidents ou dont la malhonnêteté est clairement documentée, il existe une zone grise où il est difficile de décider si un éditeur est prédateur ou non, en particulier pour ce qui concerne les nouveaux éditeurs qui doivent encore faire leurs preuves.

Cela laisse aux chercheurs quatre options : A, B(1) conditionnellement, B(2) transitoirement et B(3a ou b).

Mais avec tout cela, le Plan S ne peut être durable que si :

  1. la cOAlition S rassemble suffisamment de signataires pour peser de manière significative dans le paysage de l’édition savante. Jusqu’à présent, selon une source américaine, « les 15 premiers financeurs à soutenir le Plan S ne représenteraient que 3,5% des articles de recherche mondiaux en 2017 ». Les pressions à exercer sur le système mondial ont besoin de beaucoup plus d’adhésion que cela.
  2. la cOAlition S veille à ce que chacun de ses membres retire effectivement le label de conformité des éditeurs qui pratiquent des augmentations excessives de leurs APC, au-dessus du « cap » annoncé par le Plan S, le niveau de ce fameux plafond étant encore indéterminé aujourd’hui. Sera-t-il unifié ? Ou variera-t-il en fonction de critères encore inconnus tels que l’impact, le prestige et consorts ? Les défenseurs du libre accès souhaitent que le coût de la publication soit suffisamment bas pour cesser d’être un élément de discrimination fondé sur la capacité financière.
  3. les membres de la cOAlition S adaptent leurs critères d’évaluation aux nouvelles normes et s’assurent d’une réelle cohérence entre leurs exigences en matière de subvention et celles d’évaluation a posteriori. A cet égard, un engagement fort en faveur des principes de la DORA (« les membres de la COAlition S ont l’intention de signer la DORA et d’intégrer ces exigences dans leurs politiques ») et du Manifeste de Leyden est indispensable.

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